Dear White People

Je passe beaucoup de temps au cinéma. La semaine dernière, j'ai décidé d'aller voir un petit film nommé Dear White People, c'est à dire "Chers Blancs". J'ai un peu hésité parce que j'en ai marre des clichés sur les noirs.

Les clichés de droite voient les noirs comme des délinquants de naissance, des parasites assistés, des sous-êtres primitifs qui descendent en ligne directe du singe. Leur seule qualité c'est la force physique, à part ça ils n'ont que des tares et des retards.

Les clichés de gauche voient les noirs comme de pauvres victimes qu'il faut secourir à tout prix. Ce sont des êtres courageux qui méritent qu'on leur érige une glorieuse statue afin de compenser des siècles d'oppression. En prime, les métisses ont beaucoup de chance car leur double culture est une richesse considérable. Quelle joie d'être l'union de 2 mondes si différents! Vives les enfants de toutes les couleurs qui rendent un hommage arc-en-ciel à la terre-mère! Youpi!

Qu'ils soient cruels ou niais, j'en ai marre de ces clichés débiles qui ne correspondent en rien à mon histoire personnelle en tant que métisse. La curiosité a finalement balayé mes dernières hésitations, quitte à prendre le risque de sortir de la salle de cinéma en râlant à qui mieux mieux.

Dès les premières images, dès les premiers dialogues, j'ai été hypnotisée. Je ne suis pas sortie en râlant. J'étais même plutôt éblouie et hilare. D'habitude, lorsqu'on montre des noirs au cinéma, ce sont des esclaves, des immigrés, des sans-papiers... Mais on ne voit jamais les noirs des classes moyennes et aisées. Avec "Dear White People", c'est chose faite, on y voit des étudiants noirs dans une fac ultra-chic majoritairement blanche.

J'ai décidé de le revoir quelques jours plus tard. Il fallait faire vite. Il était projeté dans une toute petite salle, cela signifiait que sa durée de vie serait d'une ou deux semaines grand maximum J'avais pris soin entre-temps de faire quelques recherches sur internet parce que je ne suis pas hyper calée en culture américaine, il y avait certains détails que je n'avais absolument pas compris.

Surprise : le film était projeté dans une salle plus grande, elle était comble. C'était assez étonnant parce qu'il n'avait bénéficié d'aucune promotion, je n'ai vu aucune affiche dans les journaux ou les transports en commun, aucune bande annonce nulle part, pas un mot à la radio... rien. Après cette 2ème séance, je suis ressortie encore plus ravie que la 1ère fois. Alors j'y suis retournée, la taille de la salle avait encore augmenté, l'affluence était toujours importante.

De voir tous ces gens venus voir ce petit film discret, j'en avais presque les larmes aux yeux avant chaque séance. Je trouvais incroyable que le bouche à oreille fonctionne aussi bien pour un film qui ose se montrer intelligent, intime, insolent et caustique sur un sujet aussi sensible. Je ne sais pas pourquoi tous ces gens viennent le voir. Je ne connais que mon petit point de vue personnel. Je suis accro à "Dear White People" pour plusieurs raisons.

Ce film montre que les histoires de couleur de peau peuvent poser problème à tout le monde : aux blancs, aux noirs et aux métisses. Cette vision des choses correspond mieux à mon vécu.

C'est vrai qu'il suffit d'ouvrir les journaux pour voir des histoires sordides de racisme, ça existe encore, on le sait très bien. Mais je dois admettre que j'ai souvent vu des africains se dénigrer, se comporter de façon servile, exagérer leur "negritude" ou faire preuve d'un excès de fierté mal placée. Je dois admettre que je me sens hyper mal à l'aise lorsque dans la rue, des femmes noires qui se blanchissent la peau, me jettent des regards remplis de haine ou de tristesse.

En tant que métisse, j'ai connu le racisme de la part des blancs et le racisme de la part des noirs. J'ai été racistes envers les blancs et raciste envers les noirs. J'ai été raciste envers moi-même. Des fois j'étais trop blanche, pas assez noire. Des fois j'étais trop noire, pas assez blanche. Lorsque j'allais au Lycée Français de Lomé au Togo, je changeais inconsciemment d'identité plusieurs fois par jour. Ce n'est qu'en Octobre 2013, à l'âge de 38 ans que j'ai réussi à faire la paix avec cette histoire de couleur de peau.

Globalement, les étudiants blancs de "Dear White People" ne sont pas racistes. Certains ont des comportements maladroits et des attitudes déplacées sans vraiment s'en rendre compte. Avant j'avais les cheveux afro. C'est vraiment bizarre de se faire constamment tripoter comme un mouton ou un chihuahua, mais comme l'intention n'est pas mauvaise, je me laissais faire tout en me sentant légèrement ridicule. Là où ça devient vexant et insultant, c'est lorsque les gens plongent la main dans vos cheveux, sans demander la permission au préalable.

D'autres étudiants blancs se défoulent en caricaturant bêtement les clichés colportés par les médias au sujet des noirs. Les médias montrent des clichés exagérés, par pur mercantilisme. Il faut attirer l'attention de monsieur et madame tout le monde en les dépaysant avec des images chocs éloignées de la réalité. C'est valable dans beaucoup de domaines. Les médias montrent des noirs délinquants, couverts de bijoux en toc, drogués jusqu'à la moelle, vaniteux et fêtards alors qu'en réalité, la majorité des noirs travaillent, payent des impôts et vont faire la fête le week-end, comme tout le monde. Les médias exhibent des femmes dénudées et provoquantes alors que dans la vraie vie, elles sont plutôt habillées et réservées. Les médias montrent des drag queen toutes plus excentriques les unes que les autres alors que la majorité des homos vivent comme les noirs :-) ils travaillent, ils payent des impôts et vont faire la fête le week-end.

Les seuls véritables racistes du film, ceux qui sont hautains, méprisants et fiers de l'être, ce sont les élites, ce sont les dirigeants du monde et ça aussi ça correspond à mon expérience personnelle. Ce sont eux qui organisent la société alors ils mettent en place les discriminations qui leur plaisent. Je me demande s'il ne s'agit pas là d'un effet de bord de la recherche de pouvoir social. Lorsqu'on veut contrôler une population, il vaut mieux qu'elle soit uniforme. Lorsque tout le monde est pareil, on sait quelle ficelle tirer pour obtenir un effet précis. La diversité complique l'exercice du pouvoir. Les peaux noires font tâche au milieu de tous ces blancs. Les homos font tâche au milieu des couples mariés avec enfants. Les marginaux font tâche au milieu des contribuables domiciliés et imposables. Il serait donc logique que les assoiffés de pouvoir social détestent les individus qui ne rentrent pas dans les cases standardisées.

J'ai été personnellement touchée par la petite fille métisse qui se sent mal à l'aise en public avec son père.

J'ai passé mon enfance à Lomé, la capitale du Togo. Lorsque j'étais avec mes 2 parents, ça allait. Tout le monde se doutait que nous étions une famille. On voyait que j'étais leur enfant, même si mon physique était complètement différent du leur. Par contre j'avais horreur d'aller quelque part toute seule avec mon père. Les gens nous faisaient des sourires qui me mettaient mal à l'aise. Lorsque mon père disait : "c'est ma fille", les gens souriaient encore plus et je me sentais encore plus mal à l'aise.

La raison était simple. Les blancs célibataires qui venaient au Togo en profitaient pour coucher avec des gamines. Donc un homme blanc seul avec une petite fille noire, tout le monde savait automatiquement ce que ça voulait dire. Malgré les dénégations de mon père, les gens me considéraient comme sa petite pute privée.

Je pourrais écrire un livre entier avec les aléas du métissage. Il y a des bons côtés mais il y a aussi beaucoup de mauvais côtés.

Il est vrai qu'en général, les métisses doivent choisir un camp mais bien souvent, c'est plutôt le camp qui les choisit. Lorsque je suis en France, les noirs me traitent comme leur "soeur", on vient du même continent, on a le même sang... bref, ils me considèrent comme une africaine à 80%. Mais lorsque je vais au Togo, ces mêmes africains me traitent comme une touriste. Fini la sororité, je ne suis plus qu'une étrangère de passage dans leur pays. J'ai vite remarqué que les blancs font la même chose. Lorsqu'ils sont au Togo, ils me traitent comme une "compatriote", je suis une citoyenne française à 80%. Mais lorsqu'ils sont de retour en France, je deviens alors une immigrée qui a parfaitement le droit de s'installer dans leur pays parce qu'ils sont ouverts d'esprit et généreux.

En fait, c'est simple, la communauté minoritaire adopte automatiquement les métisses tandis que la communauté majoritaire les traite comme des étrangers. Les blancs sont minoritaires en Afrique donc les métisses y sont blancs. Les noirs sont minoritaires en Europe donc les métisses y sont noirs. On ne peut pas dire que les métisses choisissent un camp, ce sont les circonstances qui choisissent pour eux. Où qu'ils aillent, les métisses font toujours partie de la minorité locale.

À chaque fois que je suis allée voir le film, il s'est toujours passé la même chose. Dans l'une des scènes, on voit un jeune homme blanc embrasser un jeune homme noir. Il y a systématiquement des sursauts d'effroi ou de bruyantes manifestations de mépris dans la salle. Ce sont les spectateurs noirs qui sont choqués et moi ça me fait rire. Ça me fait rire qu'ils soient confrontés à leurs propres intolérances. Est-ce qu'il savent que le réalisateur Justin Simien est aussi un androphile? C'est peut-être ce qui lui a permis de pouvoir jeter un regard aussi détaché et caustique sur la société. Il a peut-être souffert de discriminations dans sa propre communauté, qui elle-même se plaint d'être discriminée. Quelle ironie.

Ça aussi ça correspond à mon expérience. Je suis une gynéphile. J'ai vu un africain en France m'assurer en toute hypocrisie qu'il me comprenaient sans problème. Je savais qu'il avait un service à me demander ce jour là. Je savais parfaitement que si on s'était croisés au pays, il m'aurait lapidée sans pitié. À une époque, j'envisageais vaguement d'aller vivre au Togo. J'ai demandé à ma mère comment ça se passerait étant donné mon orientation émotionnelle. Elle m'a répondu que ça se passerait très mal. Il faut garder à l'esprit que si 2 homos sont surpris en plein moment d'intimité dans un lit au Togo, ils récoltent 3 ans d'emprisonnement et une lourde amende. J'ai de la chance. Dans d'autres pays africains ils risquent la peine de mort.

L'intolérance n'est pas l'apanage des blancs. Les noirs sont comme tout le monde. Ils ont leurs petits lots d'intolérances et de discriminations, qui parfois mènent à la haine ou à la violence aveugle.

Ce qui me tient le plus à coeur est que ce film bouscule un autre cliché tenace. D'habitude les noirs ont une image dure et forte. Ils sont d'une solidité à toute épreuve. On peut leur infliger n'importe quoi, ils se relèvent toujours en souriant. Ils sont capables de survivre à n'importe quelle épreuve parce qu'ils sont en titane. C'est pour ça qu'on peut les réduire en esclavage, parce qu'ils sont increvables et indestructibles.

Eh bien non! Ici, les masques tombent. Les noirs sont à la recherche d'affection comme n'importe quel être humain. Comme tout le monde, ils sont fragilisés par le manque d'affection. Ils sont capables de se sacrifier eux-mêmes s'ils ont l'espoir d'obtenir un peu de considération.

Troy le oofta sacrifie sa jeunesse et même sa vie entière pour gagner l'affection de son père. Pourtant il aime s'amuser, il a le sens de la communication et il aimerait visiblement faire de la télé. Colandrea la nose-job se dénigre dans l'espoir d'obtenir l'affection des foules anonymes. Pourtant elle a beaucoup de force de caractère et un grand sens de la dignité. Samantha la 100% cache sa véritable nature pour conserver l'affection de sa communauté. Pourtant elle a un sens profond de la justice, beaucoup d'imagination et une certaine ouverture d'esprit. Lionel le naturel, qui a toujours été rejeté par tout le monde, cherche comment s'aimer lui même. Il est prêt à brader ses brillants talents lorsque des opportunistes lui témoignent un peu d'intérêt.

"Dear White People" montre que tous les êtres humains ont les mêmes aspirations. Ils se bercent des mêmes illusions. Ils commettent les mêmes actes désespérés. Comme une loupe, les problèmes culturels du film amplifient le drame qui se joue dans toute vie humaine. Noirs ou blancs, tous les êtres humains cherchent à être aimés et ils sont prêts à tout pour y arriver.

Je retourne souvent voir le film. C'est comme une drogue. J'en profite avant qu'il disparaisse de l'affiche...

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