La patte manquante

Comme toujours je suis à l'école en train d'écouter la maîtresse. Aujourd'hui elle nous explique la génétique. Elle nous dit que nos gènes permettent de façonner notre corps. Les gènes déterminent notamment notre genre. Les garçons et les filles sont différents parce que les filles sont XX tandis que les garçons sont XY.

Lorsqu'elle a tracé ces 4 lettres à la craie blanche au tableau noir, j'ai voulu poser une question mais au moment même où mon cerveau a formulé la phrase à prononcer, j'ai été tellement choquée que cela m'a pétrifiée. Je suis restée figée, silencieuse et abattue de devoir me taire une fois de plus. Pourtant ce que je pensais était logique.

Cette question m'est souvent revenue en mémoire. Je me la suis souvent posée toute seule. Ce jour là, je voulais lever le doigt et demander : "Maîtresse? Qu'est-ce que les garçons ont de moins que les filles?"

Un Y c'est un X auquel il manque une patte. Donc si les garçons sont XY, cela veut dire que les filles ont une patte de plus qu'eux dans leur code génétique. Mais si j'avais posé la question à la maîtresse, comment aurait-elle réagi? Les enfants comme les adultes savaient que les garçons sont supérieurs au filles. Ils sont plus grands, plus forts, plus intelligents, plus courageux... Il est interdit de remettre leur supériorité en cause, il est donc interdit de supposer qu'il leur manque quoi que ce soit. Les filles sont stupides et faibles, un peu comme des êtres humains ratés, donc il est interdit d'envisager qu'elles possèdent quelque chose de plus.

Plus que la maîtresse, j'ai eu peur de mes petits camarades. Si j'insinue que les garçons sont inférieurs aux filles, je risque d'avoir des ennuis à la récréation. C'est le meilleur moyen d'être détestée par la classe entière. En effet, qu'elles soient d'accord avec moi ou non, les filles ne veulent pas avoir de problème. Si les garçons décident de s'en prendre à moi, elles vont se rallier à leur cause pour ne pas se faire insulter ou agresser.

J'ai donc gardé cette question pour moi, jusqu'au jour où j'ai décidé de faire quelques recherches pour mieux comprendre. J'ai ainsi trouvé une photo de XY. Le Y est effectivement rikiki par rapport au X. Le Y contient une vingtaine de gènes alors qu'un X en contient 2000. En outre il existe des hommes XX. Ils ont parfois des malformations génitales que la chirurgie peut réparer, cela ne les empêche pas d'être fertiles. Il n'est donc pas obligatoire de se couper une patte génétique pour être un homme.

Tout cela m'a intriguée. L'humain XX a plus de 1900 gènes de plus que l'homme XY. Est-ce que cette patte manquante explique pourquoi d'un point de vue biologique, le corps masculin est plus fragile? Il existe des affections typiquement masculines comme la calvitie, le ventre proéminent, l'hémophilie ou la sténose du pylore, sans oublier que les femmes vivent généralement plus longtemps que les hommes. La nature aime l'équilibre alors est-ce qu'on peut supposer que la force physique des hommes est destinée à compenser leurs faiblesses biologiques? Est-ce que la patte génétique manquante permet d'expliquer les calamités quotidiennes?

Est-ce que cette patte manquante explique pourquoi les hommes sont obsédés par la compétition? Ils sont très nombreux à mesurer la taille de leur phallus pour se mettre en valeur mais ça ne s'arrête pas là. Dans ce monde fait par les hommes pour les hommes, nous sommes obligés de nous affronter mutuellement du matin au soir pour vivre. Le sport est une compétition. Les jeux sont des compétitions. Même l'art est une compétition basée sur la rentabilité, les classements et les récompenses. Dans la vie quotidienne, ce ne sont pas les plus compétents qui montent en grade, ce sont les plus compétitifs. On trouve normal que les politiciens se bagarrent pour obtenir le poste qu'ils convoitent au lieu de travailler ensembles pour gérer le pays au mieux. On trouve normal que les conditions générales de vente des entreprises aient pour objectif de nous dépouiller de tous nos droits. On discute de géopolitique parce qu'on trouve normal de réfléchir au meilleur moyen de piller les ressources des autres pays. On trouve normal que le peuple se batte jusqu'à la mort pour que les dirigeants leur accorde un minimum de respect. Est-ce que les hommes font la course à l'exploit pour se voiler la face? Est-ce que cela leur permet de masquer le sentiment d'impuissance issu du manque intérieur?

Est-ce que cela explique pourquoi beaucoup d'hommes ne pensent qu'à baiser puis détaler? Certes il y a des êtres humains, hommes et femmes, qui apprécient le sexe et qui n'ont pas l'intention de d'aller plus loin que ça avec leurs partenaires. Ce n'est pas de ça que je parle. Je parle des hommes qui trichent. Ceux qui séduisent, qui jouent la comédie, qui font croire, qui mentent, qui se servent et disparaissent sournoisement. Je parle de ces hommes qui poursuivent les femmes dans la rue, qui réclament avec insistance leur numéro de téléphone en vue d'une "amitié purement amicale sans la moindre arrière pensée" et qui vomissent des flots d'insultes lorsque qu'on leur dit "non merci". Dans leur vision du monde, une femme qui dit oui est une salope et une femme qui dit non est aussi une salope. Est-ce qu'ils veulent simplement consommer cette chose qui leur manque puis jeter l'emballage humain qui contient le XX tant convoité?

Est-ce que cela explique pourquoi les hommes manquent de considération pour la vie? En effet, il arrive souvent qu'un homme qui met une femme enceinte accidentellement, prenne la fuite sans se soucier du sort du petit être humain en construction. Ce sont principalement les hommes qui détruisent la vie : soldats, chasseurs, tueurs à gage, terroristes, tueurs en série... Que ce soit pour des raisons idéologiques ou par suite d'une maladie mentale, leur vitalité intérieure ne bronche pas lorsqu'ils sèment la mort. Est-ce qu'à cause de ce trou génétique il leur manque les "antennes" nécessaires pour sentir la vie d'une façon globale? Les hommes reprochent aux femmes d'être trop sensibles. Pourtant on pourrait plutôt se demander si ce ne sont pas plutôt les hommes qui sont incapables se sentir l'importance de la vie, vu qu'ils sont capables de considérer le meurtre comme une activité légitime, récréative ou rémunérée.

Est-ce que cela explique pourquoi l'homophobie est tenace au fil des siècles et des évolutions de la société? D'une part une femme qui aime les femmes peut être perçue comme quelqu'un qui déteste les hommes alors que ce n'est pas le cas. Les hommes pourraient être tentés d'interpréter cela comme une discrimination due à leur "handicap" génétique. D'autre part lorsqu'un homme aime les hommes, on s'imagine que l'un d'entre eux "joue" la femme alors que ce n'est pas le cas. Il est peut-être douloureux pour un homme de s'imaginer semblable à une femme, alors qu'ils aimeraient oublier qu'elles ont ce qui leur manque de naissance. Une telle évocation est susceptible de remuer le couteau dans les milliards de plaies microscopiques.

Est-ce que cela explique pourquoi dans un couple bien assorti socialement, l'homme doit toujours être plus âgé que la femme? La différence d'âge installe une hiérarchie dans l'image extérieure du couple. Si l'homme est plus âgé alors il domine, les apparences corroborent le slogan du lavage de cerveau social. Tandis que la femme qui sort avec un homme plus jeune met en scène une hiérarchisation que la société aimerait occulter.

Est-ce que cela explique pourquoi les hommes sont obsédés par les engins mécaniques et les armes? Au lieu de chercher le pouvoir à l'intérieur d'eux, ils s'acharnent à le chercher à l'extérieur. Ils construisent des machines toutes plus polluantes, plus énergivores, plus destructrices les unes que les autres, qui donnent l'impression d'être puissant. Est-ce qu'ils cherchent à dissimuler leurs carences intimes en se bardant de métal?

Est-ce que cela explique l'excision pratiquée dans certaines cultures? Est-ce que les hommes cherchent ainsi à reproduire leur mutilation interne sur le corps des femmes? Est-ce que cela les rassure de s'imaginer que leurs femmes sont tronquées comme ils le sont eux-même?

Est-ce que cela explique les innombrables viols? Est-ce que les hommes utilisent la violence physique et émotionnelle pour tenter de s'approprier cette complétude qui leur manque en profondeur? Est-ce qu'ils cherchent à briser les femmes comme des coffre-forts dans l'espoir de voler ou détruire leur trésor génétique intérieur? Le viol est un fléau planétaire qui n'a jamais faibli au cours de siècles. Il frappe tous les pays et traverse les époques, quel que soit le contexte de paix ou de conflit, le niveau de pauvreté ou de richesse économique, la taux d'éducation ou d'analphabétisme. Lorsqu'une petite fille se fait violer, dans 90% des cas le coupable est un membre de sa propre famille, quel que soit le niveau social ou le milieu culturel. Une telle constance planétaire est plus que troublante. Ce n'est pas sérieux de prétendre qu'il s'agit d'un simple problème d'éducation des petits garçons.

En tout cas, à trop vouloir rabaisser la femme et glorifier l'homme, on en vient à proclamer des âneries.

Prenons par exemple les menstruations. Elles sont considérées comme sales et honteuses un peu partout dans le monde. Certaines pratiques religieuses sont interdites aux femmes menstruées car elles sont soi-disant impures donc indignes du créateur de la vie dans ces moments là. Dans certaines cultures, elles sont obligées de se tenir à l'écart de la société quelques jours par mois pour ne pas polluer leur entourage.

Le monde New-Age a repris une vieille légende moyenâgeuse pour humilier la femme tout en ayant l'air de la valoriser. Il paraît que les menstruations permettent aux femmes d'évacuer les toxines hors du corps, ce qui expliquerait leur longévité accrue. On revient à la même rengaine insultante : les règles sont sales. Cette explication est totalement idiote pour une raison très simple. Si un spermatozoïde passe par-là au bon moment, on a une grossesse à la place des menstruations. Si le sang de l'endomètre était bourré de toxines, le foetus serait très vite empoisonné. Aucun enfant ne viendrait au monde sain et sauf.

Cette stupide histoire de toxine compare l'utérus à une poubelle où l'organisme jette ses déchets alors que c'est le lieu d'où proviennent tous les êtres humains de cette planète. Comment les êtres humains peuvent-ils se dénigrer au point d'imaginer qu'ils ont passé les 9 premiers mois de leur existence dans un vide-ordure?

Pour des raisons logiques et biologiques, le sang des règles est le plus pur qu'on puisse trouver dans le corps. S'il fait l'objet de tellement de mépris, c'est peut-être parce qu'il s'agit là du signe le plus évident de la supériorité du corps féminin. En effet le sang des menstruations est spécial car il ne coagule pas. C'est normal. Durant la grossesse, le foetus grossit pendant que la femme continue sa vie quotidienne donc il y a constamment des frottements entre le placenta et l'utérus. Si le sang coagulait alors le placenta se collerait aux parois de l'utérus et il risquerait de se déchirer, le foetus serait en grave danger.

Le sang de l'endomètre ne coagule pas. C'est le seul sang qu'on peut laver à l'eau chaude lorsqu'il a imbibé un tissu. Cela signifie que le corps d'une femme est capable de produire 2 types de sang en permanence. Le sang qui coagule coule dans le corps entier, le sang qui ne coagule pas coule uniquement dans l'utérus. Le corps des hommes est incapable d'accomplir cet exploit. Lorsqu'un homme produit du sang qui ne coagule pas alors il est malade, il atteint d'hémophilie, il risque de mourir d'hémorragie s'il se blesse. Dans la mesure où la culture veut nous convaincre que les hommes sont supérieurs aux femmes, il est normal que les menstruations déclenchent le mépris car elles prouvent le contraire.

Quoiqu'il en soit, je pense qu'un trop grand décalage entre les croyances et la réalité mène à la confusion mentale. Les esprits les plus fragiles peuvent même basculer dans la folie si les paradoxes sont difficilement conciliables. Est-ce que cela explique la perception ambivalente que les hommes ont des femmes?

D'un côté il y a l'idéalisation excessive. Beaucoup d'hommes aimeraient admirer la femme comme un genre de créature surnaturelle. Les femmes ont l'obligation de rester éternellement jeunes. Elles doivent se maquiller, se parfumer, s'épiler, se teindre les cheveux blancs et porter des bijoux pour être constamment magnifiques. Comme les régimes ne sont pas suffisants, elles sont photoshopées pour avoir l'air encore plus abstraites et parfaites dans les magazines. Elles doivent être douces, attentives, compréhensives, aimantes et dévouées, sans jamais montrer le moindre signe d'impatience, de nervosité ou de fatigue. Elles devraient être en même temps éternellement vierges et constamment offertes. Est-ce que cette vision magique de la femme s'explique par le fait que les hommes projettent des fantasmes sur cette chose mystérieuse qu'ils perçoivent au contact des femmes?

De l'autre côté il y a le mépris extrême. Tous les jours des femmes meurent sous les coups de leur conjoint. On parle souvent des inégalités salariales ou du manque d'opportunités. La plupart des religions interdisent aux femmes d'officier, seuls les hommes ont le droit de représenter dieu sur terre. Lorsqu'elles sont tolérées dans ce genre de rôle, elles ne peuvent pas grimper dans la hiérarchie. Il existe encore beaucoup de cultures où elles sont réduites au rôle de pondeuses dès leur plus jeune âge, car contrairement à la semence masculine qui ne sert que de déclencheur, la semence féminine permet de créer la vie. Il suffit de lire les journaux pour voir s'étaler l'oppression que les femmes subissent. Est-ce que les hommes cherchent à dominer les femmes par tous les moyens possible afin de conserver le piédestal sur lequel la société les place malgré le témoignage contraire de la biologie?

Qu'elle soit vue comme fée ou sorcière, sainte ou pute, mère ou salope, vicieuse ou innocente, une femme est traitée comme quelque chose au lieu d'être quelqu'un.

Si la différence entre hommes et femmes provient d'un déséquilibre génétique alors on pourrait être tenté de se dire que la violence masculine est naturelle. Il s'agit de quelque chose d'inné qui s'exprime de façon irrésistible pour de profondes raisons biologiques. Il est aberrant de voir la situation sous cet angle.

Si je suis ruinée, est-ce qu'on va trouver normal que j'agresse mon voisin pour lui voler son porte-feuille? Le manque ne justifie pas la violence. De plus, l'argent de mon voisin soulagera momentanément ma pauvreté, tandis que la violence envers les femmes ne soulage rien du tout car le gouffre génétique demeure. Si une personne atteinte de mucoviscidose agressait les personnes dont les poumons sont en bonne santé, que penserait-on? Il s'agirait là d'une vengeance aveugle, bête et méchante. Le manque intérieur ne légitime absolument pas la violence et le mépris. Personne n'est parfait. Les hommes comme les femmes ont des manques, des désirs, des besoins et des envies brûlantes. Face à un problème on a toutes sortes de solutions. Utiliser la violence lorsqu'on est en manque intérieur n'est pas une solution, c'est un comportement puéril et stérile.

Le problème ne vient pas tellement de la patte génétique manquante. Le vrai problème, c'est qu'on veut faire croire aux hommes qu'ils sont supérieurs alors que la réalité leur montre le contraire. La violence faite aux femmes découle de ce paradoxe quotidien. L'homme influençable veut détruire les femmes pour asseoir son autorité factice. Le corps féminin est naturellement supérieur au corps masculin donc l'homme complexé doit établir sa domination de façon artificielle.

Pourtant en regardant autour de nous, on voit des couples harmonieux et heureux. On voit des hommes qui entretiennent une complicité amicale avec les femmes. On voit des hommes qui sont scandalisés par la façon dont les femmes sont traitées. On voit des hommes qui travaillent main dans la main avec les femmes, qui les soutiennent et parfois se battent à leur côté. Cela signifie donc qu'il est possible d'accorder plus d'importance à son propre bonheur et au respect de la vie plutôt qu'à l'obéissance aux aberrations sociales. Il est possible pour des hommes et des femmes de se respecter mutuellement, de s'aimer et de se compléter. La violence n'est donc pas une fatalité naturelle, c'est un choix. Certains hommes choisissent de détruire ce qui leur pose problème, d'autres choisissent de construire en utilisant au mieux le potentiel à leur disposition, quel qu'il soit.

On dit souvent que l'homme et la femme sont naturellement attirés car ils se complètent. Être attiré par une différence génétique peut faire du bien à court terme mais cela mène forcément à la frustration à long terme car cela ne peut pas faire repousser la patte manquante du Y. On ne peut pas commander nos émotions mais pour éviter l'effondrement des illusions, il est préférable que l'attirance entre 2 êtres s'enracine non pas dans le genre mais plutôt dans des différences mutuellement enrichissantes comme par exemple des traits de caractère complémentaires, une vision particulière de la vie, une passion partagée, un projet exaltant...

Les femmes sont XX, les hommes le sont aussi parfois alors je me demande s'il est normal d'être XY. Peut-être que le Y est une anomalie génétique, une dégénérescence qui frappe exclusivement les hommes. Peut-être que hommes et femmes devraient normalement être XX. Peut-être que la disparition du Y établirait des relations plus saines et plus équilibrées entre les hommes et les femmes.

Parfois j'ai l'impression qu'à la base, les hommes et les femmes sont des androgynes XX dont l'un des genres est génétiquement désactivé. Les attributs féminins sont désactivés chez l'homme, tandis que les attributs masculins sont désactivés chez les femmes.

Je me demande s'il est possible d'activer les 2 genres en même temps dans un code génétique. À quoi ressemblerait le monde s'il existait 3 genres : masculin, féminin et androgyne? Comment serait le monde si tous les êtres humains avaient la possibilité de porter un enfant ou de fertiliser une autre personne? À quoi ressemblerait la famille si chaque parent pouvaient être alternativement le père d'un enfant et la mère d'un autre? Comment les religions accueilleraient un bouleversement qui n'est pas répertorié dans leurs livres sacrés?

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