Gilets Jaunes (Révolutionnaires ?)

Un mouvement déconcertant est née en automne 2018 en France, celui de Gilets Jaunes. Il émane de la grogne autour d'une nouvelle taxe. Le mouvement a très vite dégénéré car n'importe qui peut enfiler un gilet pour faire n'importe quoi. Malgré les violences spectaculaires qui émaillent les diverses manifestations, le mouvement reste populaire dans l'opinion publique. Pourquoi ? J'ai une explication toute personnelle à ce sujet.

Lorsque j'entends certaines personnes affirmer que la France est un pays raciste, j'ai envie d'exploser de rire car rien n'est plus éloigné de la réalité. Le raciste est basique. Il n'a qu'un seul critère en vue : la couleur de la peau. C'est une sélection en mode tout-ou-rien, binaire, c'est oui ou non. La France est pire que raciste.

La France est un pays élitiste. L'élitisme est bien plus complexe, plus raffiné, plus subtile, plus vicieux, plus nocif, plus sélectif. L'élitisme compte une multitude de critères de sélection là où le racisme n'en a qu'un. Pour faire partie de l'élite, il faut posséder un maximum d'attributs, tous plus superficiels les uns que les autres. Plus vous avez d'attributs, plus vous vous rapprochez de la sphère élitiste et de ses scandaleux avantages. Moins vous avez d'attributs, plus vous serez tenu à l'écart.

Du haut de mon petit point de vue subjectif, j'ai pu repérer les critères listés ci-dessous. Pour connaître sa valeur en tant que citoyen français, il suffit d'additionner les points car ils n'ont pas d'ordre d'importance. Ce qui compte c'est d'en cumuler le plus possible. Attention, cette liste est caricaturale et provocatrice à dessein.

Origine
  • Blanc : +10 points
  • Divers : 0 point
  • Maghrébin : -5 points
  • Noir : -10 points
Études
  • Grande école : + 10 points
  • Université : 0 point
  • Alternance : -5 points
  • Sans diplôme : -10 points
Affinité pour les Mathématiques
  • Bonne : +50 points
  • Moyenne : 0 point
  • Mauvaise : -50 points
Lieu de résidence
  • Paris : +10 points
  • Village huppé : +5 points
  • Région : 0 point
  • Banlieue : -10 points
Lieu de naissance
  • France : +10 points
  • Ailleurs : -10 points
Situation des parents
  • Aisées : +30 points
  • Classe moyenne : 0 point
  • Pauvres : -10 points
;
Patrimoine personnel
  • Élevé : +50 points
  • Moyen : 0 point
  • Faible : -10 points
Age
  • Vieux : + 10 points
  • Moyen : 0 point
  • Jeune : -10 points
Emploi
  • Grand patron : +100 points
  • Petit patron : +20 points
  • Cadre supérieur : +10 points
  • Cadre moyen : +1 point
  • Indépendant : 0 point
  • Smicard/Agriculteur/Sans : -10 points
Relations haut placées
  • Avec : +30 points
  • Sans : 0 point
Genre
  • Homme : +10 points
  • Femme : -10 points
  • Flou : -20 points
Vêtements / Coiffure
  • Chics : +10 points
  • Normaux : 0 point
  • Originaux : -10 points
Nom à particule
  • Oui : +100 points
  • Non : 0 point
Religion
  • Catholique : +30 points
  • Orientale : 10 points
  • Protestant : +5 points
  • Divers : 0 point
  • Athée : -10 points
  • Musulman : -20 points
Situation familiale
  • Hétéro marié avec enfant : +10 points
  • Hétéro marié sans enfant : +5 points
  • Hétéro célibataire : 0 points
  • Homo : -10 points

 

. . .

Par exemple un petit bébé camerounais adopté par la famille De La Tronche-Rombière, qui a fait Math Sup / Math Spé, fraîchement sorti de l'école catholique fondée par Louis XXVII en l'an de grâce CCLXXM, bénéficiera d'une réussite exceptionnelle. Ce n'est pas le cas de Madeleine Rombière, fille d'instituteurs bretons, qui a un Bac+7 universitaire . Elle risque de rencontrer quelques difficultés si elle ose tenter une quelconque ascension sociale. Quand à son brillant petit frère Jules, qui rêve de dédier sa vie à la recherche scientifique, il ferait mieux de préparer sa reconversion professionnelle car il a décroché sa thèse audacieuse avec les félicitations du jury, dans la fac fondée par Jean Passe en 1862. Tous les chercheurs méprisent cet établissement. Aucun scientifique digne de ce nom ne lui accordera le moinde poste. Leur cousin Gontran qui a quinze ans d'expertise dans un domaine pointu de l'industrie aura encore moins de chance car il a arrêté ses études avant le bac. Il s'est formé sur le tas. Aucun diplôme ? Il n'ira nulle part ce petit.

Cette liste est loin d'être exhaustive car n'ayant pas côtoyé les hautes sphères de la société française, j'ignore tout des attributs à acquérir à mesure que l'on monte dans l'échelle sociale. Par exemple lorsqu'on atteint un certain niveau de fortune, on est peut être dans l'obligation d'intégrer une société secrète pour que l'élan de progression sociale ne se brise pas contre un plafond de verre.

Pour lutter contre cette tendance profondément ancrée dans la culture française depuis des centaines d'années, les partis politiques de gauche ont établi leur propre échelle et tombent ainsi dans les mêmes travers qui consistent à quantifier la valeur d'un être humain en fonction de critères superficiels. Attention, cette liste est aussi caricaturale et provocatrice que la précédente.

Patrimoine personnel
  • Faible : +10 points
  • Moyen : 0 point
  • Élevé : -10 points
Origine
  • Étrangère : +30 points
  • Française : 0 point
  • Ex-noblesse française : -100 points
;
Niveau d'étude
  • Bas : +10 points
  • Élevé : -10 points
Lieu de résidence
  • Réfugié : +100 points
  • SDF : +50 points
  • Banlieue : +20 points
  • Région : +10 points
  • Paris : 0 point
  • Village huppé : -10 points
Emploi
  • Sydicaliste : +20 points
  • Smicard/Agriculteur/Sans : +10 points
  • Indépendant : 0 point
  • Cadre : -10 points
  • Patron : -100 points
Religion
  • Musulman : +20 points
  • Sans : +10 points
  • Avec  : -10 points
Situation familiale
  • Parent isolé : +20 points
  • Homo : +10 points
  • Hétéro : 0 points
   

...

La droite prône un élitisme froid et inhumain principalement axé sur ce qui est matériel, quantifiable et ancré dans l'histoire : diplômes, fortune, patrimoine, généalogie... La gauche porte un anti-élitisme primaire qui est chaud mais tout aussi inhumain car plus on est fragilisé, plus on a de la valeur. Les deux échelles sont l'exact inverse l'une de l'autre. L'échelle de droite est basée sur la sécheresse de l'intellect qui veut tout mesurer et tout s'approprier. L'échelle de gauche est basée sur la moiteur de l'inconstance émotionnelle. Pour attendrir les cœurs dans ce domaine, le plus simple est de recourir à la détresse humaine. La gauche récupère donc de façon automatique ceux qui sont méprisés par les critères élitistes. Cela peut donner lieu à des idéologies incohérentes, comme par exemple un féminisme qui défend le droit à l'excision.

Ceux qui totalisent un maximum de zéros dans les listes n'ont aucun poids politique. La gauche comme la droite ne les apprécient ni ne les détestent. Les partis ignorent tout simplement leur existence, ils sont transparents, socialement et politiquement invisibles.

Les classes moyennes actuellement majoritaires sont prises en étaux entre ces deux opposés qui les ignorent complètement. Comment s'étonner de la débâcle des partis traditionnels lors des dernières élections ? Les naïfs qui ont voté Macron croyaient qu'il allait instaurer une Startup Nation où chacun aurait enfin sa chance en fonction de ses mérites, de ses compétences et de son travail. Raté ! L'élitisme dégouline par tous les pores de sa peau, il est visiblement fasciné, hypnotisé par ce modèle de société et n'a de cesse de le développer.

Les Gilets Jaunes trouvent donc un large écho auprès de la population car ce sont des personnes qui n'arrivent pas à vivre décemment de leur travail. Pas assez riches pour bénéficier des privilèges de la haute caste. Pas assez pauvres pour s'appuyer sur la compassion financière destinée à la basse caste.De l'utérus à l'humus ils payent sans répit. Ponctionnées par la droite et la gauche, les classes moyennes sont désenchantées par les innombrables prélèvements, destinés à satisfaire les caprices des plus riches et à contenir la colère des plus pauvres.

Mais au fait. Pourquoi cette obsession pour les échelles sociales à droite comme à gauche ? Il me semble que c'est parce que la Révolution Française n'est jamais arrivée à son terme.

Les riches bourgeois ont mené cette révolution en exploitant la misère du petit peuple. Les révolutionnaires ont lu les philosophes des lumières, ils ont rédigé la constitution. Soyons réalistes. Il faut savoir lire et écrire pour mener de telles actions, non ? Sachant que du temps de mon propre père, il était compliqué pour des enfants de paysans de faire des études, je n'ose imaginer le taux d'alphabétisation des populations en 1789. Seules les familles aisées pouvaient payer l'école à leur progéniture.

Les bourgeois fortunés voulaient briser la barrière de droit divin qui les empêchait d'accéder à de hautes responsabilités. Ils ont donc éjecté la noblesse, non pas pour établir la Liberté, la Fraternité et l'Egalité entre citoyens, mais plutôt pour pouvoir enfin se vautrer dans les privilèges qui les faisaient tant rêver. Ils ont ainsi bouleversé la politique et l'économie pour prendre leurs aises. Ils ont stoppé la machine avant qu'elle atteigne la sphère sociale. Ils se sont d'ailleurs très vite réconcilés avec les nobles, qui ont pu revenir et récupérer la jouissance de leurs biens à leurs côtés.

Il fallait conserver la séparation entre d'une part ceux qui se vautrent dans le luxe et le pouvoir et d'autre part ceux qui travaillent pour financer les privilèges des nouveaux maîtres de la France. Les bourgeois nobles ont mis en place une législation rébarbative pour verrouiller l'ascension sociale au maximum et rester ainsi entre gens de bonnne compagnie. Il est ardu de créer sa propre entreprise en France. La paperasse administrative requiert des semaines ou des mois d'efforts, les prérequis absurdes et les taxations décourageantes pleuvent de partout. Pour éviter la survenue de nouveaux soulèvements populaires, il fallait aussi calmer la fureur de ceux qui étaient si pauvres qu'ils n'avaient plus rien à perdre. C'est ainsi que les aides sociales ont été progressivement mises en place pour acheter une relative paix sociale.

Révolution politique. Révolution économique. Il manque la Révolution Sociale. La France est donc toujours aussi divisée qu'en 1789. Seuls les critères d'appartenance à la noble bourgeoisie ont changé. Avant ce n'était que la généalogie qui comptait. De nos jours les critères sont plus nombreux mais il figent tout de même la société française dans une espèce de stagnation sociale qui mène à la médiocrité car ce ne sont pas les plus compétents qui accèdent aux postes à responsabilité. Ceux qui ont la chance de posséder des attributs élitistes, tirent les ficelles du pays, même s'ils n'ont pas les capacités adéquates pour occuper efficacement leur fonction. C'est exactement comme les nobles qui héritaient automatiquement de charges, même s'ils étaient incapables de les assumer. Rien n'a changé, hormis les critères d'admission dans les arènes du pouvoir.

La majorité des français piétinent dans ce marasme. La société est clinquante en apparence mais elle moisit de l'intérieur. Les français ont besoin d'air social, de lumineux espoirs, de perspectives enthousiasmantes. Ils ne veulent plus vivre uniquement pour financer les privilèges malsains d'une poignée d'heureux élus hautains.

En 1789, les bourgeois ont décapité le roi car il avait droit de vie et de mort sur n'importe qui. Ils ont pu ainsi le dépouiller de son pouvoir le plus important pour se l'approprier officiellement. Ils en ont ensuite abusé pour asseoir leur autorité dans un fleuve de sang.

En 2018, les Gilets Jaunes extrémistes ont saccagé l'avenue des Champs Élysées, symbole international du prestige français, probablement parce qu'ils veulent exprimer leur haine envers l'élite méprisante qui empoisonne et sclérose la vie sociale. Si la révolte des Gilets Jaunes s'achève, une autre éclatera tôt ou tard pour les mêmes raisons.

A ce problème d'élitisme typiquement français s'en ajoute un autre qui est commun à tous les états. La notion de nation n'est pas naturelle. Il est impossible de maintenir la cohésion d'un pays sans recourir à des artifices. Les explosions de violences épisodiques sont malheureusement inévitables.

Notons que saccager violemment telle personne, telle institution, tel monument ou tel symbole ne résoudra rien. L'apanage de l'élite consiste à briller d'orgueil au sommet de la pyramide sociale. Pour finalement clôturer la révolution française, il faudrait donc qu'un événement de grande ampleur ridiculise les puissants au point de les faire dégringoler de leur piédestal de gloire historique. Il faudrait qu'une humiliante tornade balaye leurs abus condescendants. Lorsque l'élite perdra son aura de mépris, lorsqu'elle sera tellement pétrie de honte qu'elle n'aura d'autre choix que de se draper d'humilité pour dissimuler son embarras aux yeux du monde, alors les barrières sociales arbitraires s'effondreront d'elles-mêmes.

Les nobles qui régnaient sans partage vivaient confortablement dans l'oisiveté. Ils n'avaient aucune raison de se surpasser, aucun défi à relever. La France stagnait mollement. Lorsque les bourgeois ont pris le pouvoir, de nouveaux potentiels ont eu l'opportunité de s'exprimer. Du sang neuf a irrigé les instances décisionnaires. Le commerce, l'industrie, les sciences et les technologies ont connu un essor considérable. Aujourd'hui nous sommes dans une situation similaire. Les bourgeois sont obsédés par la croissance. Ils enchaînent les peuples dans une course irrationnelle vouée à la catastrophe. Ils empêchent l'éclosion de la nouveauté car ils monopolisent le pouvoir. Le jour où la noble bourgeoisie élitiste s'écroulera, des voies originales s'offriront à l'humanité.

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