La dictature sociale

Nous ne sommes par libres de faire tout ce qui nous passe par la tête. Heureusement sinon la société serait un chaos immonde où les minorités violentes imposeraient leur loi à la majorité pacifique. Petit à petit les standards glisseraient, les limites se déplaceraient, les seuils tomberaient et la majorité finirait par considérer qu'il est tout à fait normal de se violenter mutuellement, avec ou sans motif.

Hier par exemple, un jeune homme de 20 ans est entré dans une église au Texas. Il a tiré sur les personnes assemblées. Pourquoi ? Parce qu'il était en conflit avec sa belle mère, qui avait l'habitude de fréquenter ce lieu de culte. La femme n'était pas présente à l'office ce jour-là alors iI a tué des inconnus au hasard.

C'est dommage de faire intervenir la justice dans ce genre de situation parce que c'est trop tard. Aucun juge ne réussira à ressusciter les innocents assassinés. Il est préférable d'intervenir en amont pour prévenir les drames. Heureusement qu'il y a des limites pour encadrer le comportement en société. Heureusement qu'il existe des limites pour que chacun sache ce qui est interdit, toléré ou autorisé. Pour ma part je vois 3 catégories de limites.

La première limite est ce que j'appelle tradition au sens large. Ce sont des choses qu'on doit faire ou ne pas faire. Pourquoi ? Parce que c'est comme ça. Parce que c'est une mode éphémère qui devient virale. Parce que nos ancêtres font ça depuis des siècles. Parce que si on ne respecte pas la tradition on risque d'être exclu de la communauté. Même si personne ne connaît l'origine des règles ni leur utilité, il faut obéir. Parfois les règles sont stupides, ridicules, illogiques ou carrément nocives pourtant il faut s'y plier pour éviter la punition du rejet.

La seconde limite est la morale. Ce sont des choses qu'on doit faire parce que c'est bien. Ce sont d'autres choses qu'il ne faut pas faire parce que c'est mal. En général c'est la religion qui définit ce genre de règles. Dieu sait ce qui est bien et ce qui est mal. Il a écrit des livres sacrés par l'intermédiaire de ses hommes préférés. Apparement la désobéissance est généralement sanctionnée par de terribles punitions divines collectives, à laquelle personne ne peut échapper, pas même la veuve éplorée, ni l'orphelin inconsolable.

La troisième limite est la légalité. Ce sont des choses à faire ou à ne pas faire sous peine d'être puni par les dirigeants politiques. Les lois sont problématiques car il est difficile de définir des règles qui conviennent à des millions de personnes dont les intérêts divergent. Il est difficile de surveiller des millions de citoyens pour détecter les contrevenants. Il est difficile en cas de conflit d'établir avec certitude la responsabilité des uns et des autres, les "injustices légales" sont fréquentes. Souvent les lois ne sont pas pertinentes car le problème qu'elles doivent résoudre a été mal cerné. Dans certains cas elle peuvent même aggraver le problème. N'oublions pas toutes ces lois que les dirigeants votent uniquement pour arranger leurs petites affaires et favoriser leurs puissants amis. La legislation toxique alourdit quotidiennement le fardeau des peuples.

3 limites sociales

Les diverses communautés fixent des règles. Les hommes de dieu fixent des règles. Les dirigeants politiques fixent des règles. Avec toutes ces bienveillantes sécurités, la terre devrait être un véritable paradis, non ?
On peut remarquer que chaque catégorie de règles a ses propres limites. Mais le plus grave, c'est qu'elles peuvent générer de la violence alors qu'elles sont justement censées garantir la paix, l'harmonie et la fluidité du fonctionnement en société.

peur traditionLa tradition peut entraver l'évolution d'une société en imposant la perpétuation de comportements stériles, obsolètes ou injustes. Son pire ennemi est le temps.

Pour traverser les siècles il faut rejeter la nouveauté apportée par les influences étrangères. La stagnation s'installe. Par peur du changement, une communauté peut choisir de se replier sur elle-même et de combattre les autres groupes pour détruire les coutumes qui menacent sa pérénité.

La violence permet aux traditions de survivre, au détriment des êtres humains réduits à l'état de simple supports, vulgaires porteurs d'un virus anachronique destiné à infecter leur descendance.

peur moraleLa morale peut inutilement générer du stress en stigmatisant des comportements qui n'ont rien de nocif objectivement. Son pire ennemi est le jugement. Celui des dévots trop intégristes, celui des incroyants trop sceptiques ou pire encore, celui que dieu déchaîne de façon fracassante par le biais de la nature.

En effet les fidèles ont peur de sa justice qui s'abat aveuglément. Lorsque dieu est en colère, le coupable est exterminé au même titre que l'innocent, par des calamités naturelles de grandes ampleur. Alors le croyant apeuré veille fébrilement. Il s'auto-censure et surveille les autres. Les coupables avérés ou supposés sont impitoyablement jugés par les humains et cruellement punis, pour éviter que dieu se donne la peine de le faire lui-même.

La violence permet de remettre les rebelles contre-nature sur le droit chemin de la morale naturelle, dans l'espoir d'apaiser les caprices dévastateurs de la nature.

peur legaliteLa phrase "C'est légal" est une formule magique qui interdit tout questionnement, tout débat, toute contestation. Le pire ennemi de la légalité, c'est la masse. Un individu mécontent se noie dans la masse. Par contre le mécontentement massif peut remettre en cause la légitimité du système de gouvernance en place.

Celui qui va à l'encontre de la loi est un criminel, même si la loi est idiote et que la personne est de bonne foi. Celui qui respecte la loi est dans son bon droit même s'il s'en sert pour détourner de l'argent, pour s'accrocher au pouvoir, pour exploiter les populations, pour piller les voisins ou pour déclencher des guerres atroces.

Les lois génèrent beaucoup de mécontentement donc les dirigeants utilisent la violence pour forcer les populations à obéir. C'est dingue de se dire que les sociétés supermodernes, supercivilisées, superdéveloppées, superdémocratiques, infligent la souffrance physique aux populations pour maintenir leur légitimité, comme le fait n'importe quelle dictature sanguinaire. En effet, lorsque l'épouvantail de la légalité ne suffit pas, on envoie les CRS pour tabasser. La masse de recalcitrants se transforme en râleurs individuels endoloris. Le silence amer qui s'élève des décombres fumants permet aux dirigeants de prouver que le peuple est satisfait.

Notons que parfois les garants des règles sociales ont aussi recours au mensonge, soit parce qu'ils n'ont aucun argument pour justifier le bien fondé de leurs règles, soit parce qu'ils sont les premiers à les briser en toute hypocrisie. Ils peuvent également tenter de susciter l'obéissance en distribuant des promesses et des récompenses. Acheter l'adhésion de quelqu'un, je trouve que ça ressemble à de le corruption.

Je me dis que ce serait pourtant si simple. Les êtres humains n'ont pas vocation à être esclave de quelque système que ce soit. Au contraire les règles devraient être à notre service. Au lieu d'être des prisons, elles devraient être des outils. Au lieu d'être des menottes qui entravent, elles devraient être des gants qui protègent. Lorsqu'elles ne sont pas nocives, tradition, morale et légalité sont utiles un temps puis se transforment en boulets qu'on traîne misérablement au fil des siècles. Personnellement je ne reconnais qu'une seule règle de base, une seule limite fondamentale pour réguler la vie en société.

Le bon sens

Ce ne sont que des mots. Que designent-t-ils ? "Bon". Qu'est-ce qui est bon ? Ce qui me fait du bien est bon. Ce qui perturbe mon bien-être physique, émotionnel et mental est mauvais. La société doit donc produire des règles qui découlent de celle-là. Elle doit adopter des règles sociales qui favorisent mon bien-être physique, émotionnel ou mental. Si cela se fait au détriment des autres alors ceux qui sont lésés par mon confort vont chercher à me guillotiner vite fait pour avoir une chance de s'épanouir eux aussi. Mon bien-être sera foutu, ça ne va pas dans le bon sens. Si ce qui me fait un bien éphémère aujourd'hui me plonge dans la souffrance demain alors ça ne va pas dans le bon sens. Si pour être bien dans un domaine je dois en sacrifier un autre alors ça ne pas va pas dans le bon sens.

Le bon sens est formé d'un nombre infini de règles fluctuantes qui concourrent au bien-être de tous les individus, dans tous les domaines, sur le long terme. Contrairement à la tradition, la morale et la légalité qui n'interviennent que ponctuellement et localement, le bon sens a besoin d'être mis en oeuvre constamment pour naviguer vers la bonne direction individuelle, fixant ainsi un cap harmonieux pour le développement pérenne de la collectivité entière.

Passons sur la naïveté de cette définition. Je suis naïve et je n'ai pas l'intention d'y renoncer. Ce que je dis paraît évident ? C'est peut-être parce que c'est vrai. Ce que je dis paraît simpliste ? Et pourtant aucune société humaine n'a jamais réussi à mettre cette règle en oeuvre, sinon ça se saurait. C'est évident et simpliste et pourtant à l'heure actuelle c'est impossible à mettre en oeuvre.

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